Les clauses de destruction de mobiliers dans les contrats de franchise

le 18 septembre 2006 / Maître Monique Ben Soussen

I./ L’exigence d’un intérêt légitime pour le franchiseur.

Tant le droit civil (1) que le droit de la concurrence (2) impliquent que les clauses de destruction soient justifiées par l’intérêt du franchiseur.

1- Une exigence fondée sur le droit civil.

En principe, la propriété est « le droit de jouir et disposer des choses de la manière la plus absolue » (art. 544 C. civ.). Certes, l’exercice du droit de propriété peut se traduire par une restriction des prérogatives qui s’y trouvent attachées. Celui qui vend son bien exerce ainsi le droit d’en disposer ; celui qui le loue, le droit de l’utiliser et d’en percevoir les fruits. De même peut-on valablement s’engager à ne pas exercer ses prérogatives. Telle est par exemple la portée d’une promesse de vente ou d’un pacte de préférence : le propriétaire d’un bien s’interdit de le vendre à un tiers. Dans tous ces cas, le propriétaire ne consent toutefois à brider ses prérogatives que dans son intérêt.

Lorsque la restriction du droit de disposer ou d’utiliser la chose est consentie dans l’intérêt d’un  tiers, il devient en revanche normal de la subordonner à la légitimité de cet intérêt. La solution est expressément posée dans le Code civil à propos des clauses d’inaliénabilité qui affectent un bien donné ou légué (art. 900-1). Dans le même sens, la Cour de cassation a précisé que c’est à celui qui se prévaut d’une telle clause qu’il appartient de justifier de l’intérêt sérieux et légitime qu’il allègue au motif que la clause d’inaliénabilité déroge au principe de la libre disposition des biens (Cass. Civ. 1, 15 juin 1994, Bull. civ. I, n° 211). La jurisprudence étend d’ailleurs cette solution à d’autres types de clauses. Récemment, la Cour de cassation a ainsi décidé qu’est nulle la clause d’un contrat de prêt immobilier interdisant à l’emprunteur de louer l’immeuble acquis sans l’accord du prêteur. Selon elle, cette clause qui ne procurait aucun avantage particulier à l’une des parties était contraire à l’ordre public.

Il nous semble qu’aucune raison ne permet d’envisager une solution différente pour les clauses par lesquelles un franchiseur exige de son franchisé qu’il détruise ses installations, étalages et ses agencements à l’issue du contrat de franchise. Ces clauses ne peuvent s’appliquer que si la destruction qu’elles prévoient s’avère indispensable aux intérêts légitimes du franchiseur. Le droit de la concurrence le confirme.

2- Une exigence fondée sur le droit de la concurrence.

Dans un célèbre arrêt du 18 février 1992 (Bull. civ. IV, n° 78), la Cour de cassation a annulé la clause d’un contrat de concession organisant la revente de carburant, qui imposait au concessionnaire de restituer les cuves mises à sa disposition par le concédant. Selon les magistrats, « l'obligation de restitution en nature du matériel impose des travaux coûteux au revendeur de carburant, non justifiés par des nécessités techniques en raison de la durée de vie des cuves » ; elle est au surplus « susceptible de le dissuader de traiter avec un autre fournisseur » et partant, « disproportionnée avec la fonction qui lui a été fixée de faire respecter l'exclusivité d'achat du carburant et constitue un frein à la concurrence d'autres fournisseurs ».

Si la Cour de cassation refuse de valider une telle clause alors que le concédant était propriétaire des cuves litigieuses, elle devrait à plus forte raison exiger qu’une clause en vertu de laquelle un franchisé ayant légitimement acquis la propriété d’un bien s’est engagé à détruire celui-ci à l’issue d’un contrat soit proportionnée aux intérêts du franchiseur. De fait, il est bien évident qu’un franchisé contraint de faire disparaître une partie de ses actifs devra s’en procurer de nouveaux pour sa reconversion, ce qui engendre un coût dont le montant s’avèrera souvent un obstacle à l’exercice de sa liberté d’entreprendre.

Cette circonstance nous amène directement à la seconde exigence. Non seulement le franchiseur doit avoir un intérêt légitime à la destruction des biens litigieux, mais il faut encore qu’il ait l’obligation d’indemniser le franchisé.

II./ L’exigence d’une indemnité préalable pour le franchisé.

Il ne suffit pas d’établir le principe de cette indemnité (1), encore faut-il en déterminer le montant (2).

1- Le principe de l’indemnité.

Ce principe découle à notre avis de l’article 545 du Code civil. Ce texte dispose en effet que « nul ne peut être contraint de céder sa propriété, si ce n’est pour cause d’utilité publique, et moyennant une juste et préalable indemnité ». Il est vrai qu’il ne vise à proprement parler que la « cession » de la propriété. Le caractère fondamental du droit de propriété autorise toutefois une lecture extensive.

Dans cette optique, l’article précité devrait également concerner le droit de détruire sa chose. La raison en est simple : comme le droit de céder sa chose, le droit de la détruire relève d’une même prérogative : le droit de disposer de sa chose (l’abusus). En ce sens, nul ne peut être contraint de détruire la chose faisant l’objet de son droit de propriété, si ce n’est pour une cause d’utilité publique, et moyennant une juste et préalable indemnité.

Toute clause contraire insérée dans un acte juridique serait nulle de nullité absolue. Le droit de propriété est en effet d’ordre public. Une clause qui exclurait toute indemnisation à raison des destructions exigées à la fin d’un contrat de franchise serait ainsi directement contraire à l’article 6 du Code civil aux termes duquel : « on ne peut déroger, par des conventions particulières, aux lois qui intéressent l’ordre public et les bonnes mœurs ».

L’ensemble de cette construction juridique n’a pour l’instant jamais été validé par les tribunaux. Elle nous semble cependant la seule de nature à concilier les intérêts du franchiseur et du franchisé. Reste alors à fixer le montant de l’indemnité.

2- Le montant de l’indemnité.

Les parties ont évidemment tout intérêt à régler cette question dès le début de leur relation. A cette fin, l’insertion d’une clause de rachat du mobilier litigieux est vivement conseillée.

Dans ce cas, le prix peut être déterminé ou seulement déterminable. La première solution n’est pas réaliste dans la mesure où il n’est jamais certain qu’un contrat arrive à son terme. En toute logique, la seconde solution devrait dès lors l’emporter en pratique. Pour éviter le coût et la longueur du recours à un expert, les parties prévoiront alors utilement que les meubles seront rachetés à leur valeur nette comptable au jour de la cessation du contrat. Telle est du reste la solution qui devrait également prévaloir en l’absence de toute clause sur ce point.

En matière de franchise, le contentieux concerne tantôt le principe, tantôt les conséquences de la cessation des relations contractuelles. Dans cette dernière hypothèse, la clause de non concurrence a longtemps occupé le devant de la scène judiciaire. Son régime est aujourd’hui étroitement balisé. L’attention doit ainsi se porter sur d’autres clauses ayant pour objet ou pour effet de brider la liberté de l’ancien franchisé. Les clauses de destruction de mobiliers en font assurément partie.

Ce type de clause prévoit qu’en cas de cessation du contrat, pour quelque cause que ce soit, le franchisé devra faire disparaître les étalages, installations et, de manière plus générale, tous les agencements spécifiques au réseau du franchiseur. Peut-on valablement s’obliger à détruire un bien régulièrement acquis lors de l’entrée dans un réseau de franchise ? Telle est la question posée. A notre connaissance, les tribunaux n’y ont pas encore directement répondu. Il convient dès lors d’envisager le régime de ces clauses à la lumière des principes généraux. De ce point de vue, leur validité semble devoir être soumise à une double exigence : celle d’un intérêt légitime du franchiseur d’une part (I), celle d’une indemnité préalable du franchisé d’autre part (II).

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