Le devoir de mise en garde des banques

le 13 août 2006 / Sophie Bienenstock

Depuis plus d’une dizaine d’années, la jurisprudence considère que les établissements de crédits peuvent engager leur responsabilité en raison d’un prêt excessif accordé à un client. Si le devoir de mise en garde des banques n’est plus contesté aujourd’hui, sa délimitation précise peut soulever des difficultés : le devoir de mise en garde se limite à avertir le client des risques qu’il encourt. Il se différencie du devoir de conseil, en ce qu’il n’implique pas que les établissements de prêt orientent la décision du client. Aujourd’hui, le développement du marché financier et l’apparition de nouvelles fonctions d’intermédiations financières ont modifié la nature même du service bancaire. Les opérations bancaires sont devenues extrêmement diversifiées, complexes et souvent  risquées.

Dans ce contexte, le devoir de mise en garde des banques, à l’égard des particuliers aussi bien que des entreprises, posent de nombreuses difficultés. Si la jurisprudence semble cohérente en ce qui concerne le devoir de mise en garde pour les prêts, les problèmes se multiplient lorsqu’il s’agit d’opérations financières plus complexes.

Dans l’arrêt du 8 juin 1994 qui reconnaît pour la première fois la responsabilité des banques en cas de prêt excessif, aucun fondement n’est invoqué. La jurisprudence récente se fonde sur l’article 1147 du Code civil, pour retenir, dans certaines circonstances, la responsabilité des établissements de crédit. Cet article énonce que le débiteur ne peut être condamné au paiement de dommages et intérêt en cas de non exécution de son obligation, si “ l’inexécution provient d’une cause étrangère qui ne peut lui être imputée ”. La banque est tenue d’avertir le débiteur des risques qu’il encourt, sans quoi il ne pourra pas être responsable en cas de retard ou d’inexécution de son obligation de remboursement. De surcroît, la banque pourra même être condamnée à payer des dommages et intérêts, selon la libre appréciation des juges.

Le problème soulevé est alors précisément cette appréciation : sur quoi la jurisprudence se fonde-t-elle pour déterminer l’étendue du devoir de mise en garde des banques ?

Selon une jurisprudence constante, l’expérience de l’emprunteur est un élément déterminant : la distinction entre les emprunteurs avertis et profanes est fondamentale pour déterminer le devoir de conseil des banques à l’égard des particuliers. La Cour de cassation énonce en effet dans un arrêt du 21 février 2006 que les juges sont tenus de rechercher si les débiteurs “  pouvaient être considérés comme des emprunteurs avertis et, dans le négative si la banque les avait alertés […] et avait ainsi rempli son devoir de mise en garde ”. Cet arrêt implique a contrario qu’une banque ne peut engager sa responsabilité envers les emprunteurs avertis. Une fois alerté par la banque du risque qu’il encourt, l’emprunteur profane est à même de prendre une décision seule, et la banque ne peut être tenue de lui refuser un prêt.

Il s’agit en réalité de se poser la question suivante : le client était il conscient que le prêt excédait largement ses capacité de remboursement ? Dans la négative, la banque peut être tenue responsable d’avoir cachée une information qui aurait pu éviter la crise financière. Le devoir de mise en garde signifie en quelque sorte que les deux parties doivent disposer des mêmes informations avant de contracter.

De nombreuses opérations financières sont par nature spéculatives et risquées, puisqu’elles mettent en jeu des produits très volatiles, notamment des actions et des obligations. Le risque est donc inhérent à l’opération financière, et il est par ailleurs impossible à estimer précisément. En effet, il faudrait prendre en compte de nombreux paramètres inaccessibles aux clients profanes, qui sont souvent victimes des publicités et des discours simplificateurs des banques, ces dernières cherchant légitimement à conserver leur clientèle. Face au danger que représentent ces produits financiers complexes, le Parlement devrait adopter à l’automne prochain un texte relatif aux règles de conduite pour la fourniture de produits d’investissement à des clients. Ce projet de loi est la transposition d’une directive européenne d’Avril 2004 ; dont les objectifs principaux sont de protéger les investisseurs et préserver l'intégrité du marché; ainsi que de, promouvoir l'équité, la transparence, l'efficacité et l'intégration des marchés financiers. D’après cette directive, “ tout document à caractère publicitaire relatif à des instrument financiers doit présenter un contenu exacte, clair et non trompeur ”. En accord avec la jurisprudence française, la droit communautaire considère que le prestataire de services doit tenir compte des “ connaissances des clients, et de leur expérience en matière financière, ainsi que du degré de complexité des instruments financiers concernés ”.

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