Rupture brutale des relations commerciales

le 11 mars 2005 / Monique Ben Soussen, Avocat à la Cour d’Appel de Paris

La rupture brutale de relations commerciales établies est sanctionnée par la loi. Mais les sanctions s’avèrent insuffisantes pour inciter les sociétés aux mœurs commerciales expéditives à plus de citoyenneté

L’équilibre des entreprises est fragile et tient parfois à la qualité de la relation existant avec un important client. Un seul client peut assurer à une entreprise un pourcentage important de son chiffre d’affaires. Cette situation est dangereuse car elle place l’entreprise dans une situation de dépendance totale. Le législateur est intervenu en créant l’article L442-6-1 du code du commerce qui sanctionne la rupture brutale des relations commerciales établies. Cet article interdit à « un partenaire de rompre brutalement une relation commerciale établie sans préavis écrit, tenant compte de la durée de la relation commerciale » ; en clair, non, tout n’est pas permis et la durée d’une relation doit être le gage d’une certaine élégance lors de la rupture. Les tribunaux ont eu à connaître récemment plusieurs affaires où une rupture brutale était reprochée à l’un des cocontractants. Ainsi le Tribunal de Commerce de Paris a tranché le litige opposant les Galeries Lafayette à la société Fouks Esmar, dont les produits étaient distribués aux Galeries Lafayette Haussmann depuis 1954 !

Nonobstant la durée de cette relation, les Galeries Lafayette ont décidé de mettre un terme à cette collaboration. Le Tribunal de Commerce a accordé 1.150.000 F de dommages et intérêts à la  société Esmar. Les Galeries Lafayette, après avoir interjeté appel, se sont désistées de cette  procédure. Dans le même ordre d’idée, la Cour de Cassation dans un arrêt du 7 juillet 2004 a confirmé l’arrêt de la Cour d’Appel de Versailles qui avait accordé à un fabricant de cuir 230.000 € de dommages et intérêts suite à la rupture des relations avec deux clients importants, les sociétés Cim et Continent. Les dommages et intérêts accordés représentaient 6 mois de préavis.  La Cour de Cassation a confirmé cette décision et ce alors que Kiasma soutenait avoir un  préjudice plus important. Le 14 octobre 2004, la Cour d’Appel de Versailles a condamné la Société Loris Azzaro à verser 300.000 € de dommages et intérêts  à son distributeur exclusif colombien. La société Azzaro avait accordé un préavis de 3 mois avant de cesser de travailler  avec ce distributeur, préavis à l’évidence trop bref au regard de la durée des relations commerciales qui existaient depuis près de 20 ans.

Enfin le 2 décembre 2004, la Cour de Versailles tranche le litige opposant la Société Galec, centrale de référencement du groupe  Leclerc, à la société Giedam. La société Galec décida, après 3 ans de collaboration, de supprimer Giedam de la liste de ses fournisseurs. Le 3 décembre 2001, la cessation des relations est notifiée  par la société Galec pour la fin du mois de décembre. La brièveté du préavis choqua les magistrats qui accordèrent 240.000 € de dommages et intérêts.

Ces décisions sont positives dans la mesure où elles consacrent la possibilité pour un partenaire commercial de rechercher la responsabilité de l’autre en cas de cessation des relations, et ce même en l’absence d’une convention écrite. Elles sont par contre décevantes au niveau du montant des dommages et intérêts alloués.

Les juges considèrent que ceux-ci doivent être calculés en prenant en compte la seule durée du préavis, communément fixée à 6 mois. La jurisprudence estime en effet, qu’un préavis de 6 mois est « raisonnable ». Or, on pourrait imaginer que soit pris en compte dans des cas extrêmes, le caractère irrémédiable de la situation créée par la rupture. Il arrive en effet que des fabricants soient contraints de déposer leur bilan postérieurement à la cessation de la relation avec un client important. Dans une telle hypothèse, le préjudice devant être pris en charge devrait être égal à la valeur de l’entreprise appelée à disparaître.

Comportements choquants sanctionnés

Il arrive qu’une entreprise réalise une partie significative de son chiffre d’affaires avec un seul client ou bien qu’elle n’ait qu’un fournisseur. La Cour d’Appel de Paris vient de juger (1er décembre 2004. Aff. Parour / RDW) que même en l’absence de convention écrite, et alors que les relations n’existaient que depuis dix sept mois, un fournisseur ne pouvait rompre du jour au lendemain ses relations avec l’un de ses détaillants. L’originalité de cette décision réside dans la brève durée de la relation : le fait que les parties aient travaillé ensemble pendant 17 mois a suffit pour le fournisseur soit condamné à indemniser le préjudice résultant de la rupture des relations.

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