Professionnels du téléphone mobile, situation fragile !

le 11 août 2009 / Monique Ben Soussen, avocat à la Couyr

Un point de vue de Monique Ben Soussen, avocat à la Couyr, à propos du sort des distributeurs d'abonnements téléphoniques évincés de leur réseau

 Les distributeurs d'abonnements téléphoniques subissent le tassement du marché ; cela se constate même au plus haut niveau des juridictions françaises. A quelques mois d'intervalle, la Cour de cassation a en effet rendu deux importantes décisions à propos à ce sujet[1]. A chaque fois, la situation est à peu près la même : un distributeur lié à un opérateur de téléphonie mobile par un contrat de distribution exclusif se retrouve sans réseau, son contrat n'étant pas renouvelé ou faisant l'objet d'une résiliation anticipée. Dans les deux cas, le distributeur demande une sorte d'indemnité d'éviction.

Le problème est cependant bien connu : à défaut de prouver un abus de la part du maître du réseau, le distributeur évincé se trouve apparemment dépourvu de toute protection. Privé de ressources économiques, il serait également dénué de ressources juridiques.

Les juristes ont toutefois de l'imagination. Afin de soutenir la cause de ces distributeurs, certains ont ainsi eu l'idée de solliciter l'application du statut d'agent commercial. Il est vrai que celui-ci a ceci d'attractif qu'il prévoit expressément une indemnité compensatrice du préjudice subi en cas de cessation du contrat[2]. Simple coup d'épée dans l'eau néanmoins... Dans un arrêt du 15 janvier 2008, la chambre commerciale de la Cour de cassation rejette la thèse en rappelant que « l'agent commercial est un mandataire indépendant chargé de négocier et, éventuellement, de conclure des contrats au nom et pour le compte de son mandant ». Or, relève la Cour, le distributeur chargé d'assurer la diffusion de services de radiotéléphonie et d'assumer les tâches liées à l'enregistrement des demandes d'abonnement, ne pouvait apporter aucune modification aux tarifs et conditions des abonnements, ce qui excluait tout pouvoir de négociation au sens de la définition rappelée ci-dessus. En clair, c'est parce qu'il ne pouvait rien changer aux contrats d'abonnements qu'il diffusait que le distributeur ne pouvait se prévaloir du statut d'agent.

Ce faisant, la Cour de cassation adopte une conception extrêmement restrictive de l'agence commerciale. De fait, n'est-il pas réducteur de lier le pouvoir de négociation d'un contrat à la faculté d'en modifier les clauses ? Une personne dont la tâche consiste à convaincre une autre de conclure un contrat ne « négocie »-t-elle pas elle aussi ? Rappelons d'ailleurs qu'un agent commercial chargé de conclure des contrats au nom et pour le compte de son donneur d'ordres peut fort bien être tenu de respecter les instructions impératives de ce dernier. Privé du pouvoir de modifier le contrat qu'il conclut pour son donneur d'ordres, l'agent n'en perd pas pour autant le bénéfice de son statut. De ce point de vue, l'arrêt du 15 janvier s'avère critiquable.

Reste qu'il exclut la qualification d'agent de manière particulièrement ferme. Le distributeur d'abonnements téléphoniques dispose-t-il d'autres moyens de protection ? Telle est donc la question qui reste en suspens.

Deux pistes de réflexion viennent alors à l'esprit. Du côté du droit du travail, tout d'abord. Et pour cause : si les distributeurs d'abonnements n'ont bel et bien aucune marge de manœuvre sur les tarifs et les conditions de vente, l'application du droit du travail est envisageable. Elle l'est d'autant plus que ces distributeurs exploitent le plus souvent leur boutique de manière exclusive pour le compte de tel ou tel opérateur dans un local agréé par ce dernier, ce qui permet de brandir l'article L 7321-2 2° b du Code du travail. Du côté du droit des obligations, ensuite. Dans un arrêt du 9 octobre 2007, la Cour de cassation a reconnu à un franchisé SFR le droit à une indemnité de fin de contrat aux motifs que la cessation de son contrat avait eu lieu du fait du franchiseur d'une part, qu'en raison de la clause de non-concurrence stipulée dans le contrat, cette cessation aboutissait à  déposséder le franchisé de sa clientèle d'autre part.

Certes, l'arrêt du 15 janvier précité n'évoque à aucun moment la solution posée en 2007. Cela étant, le distributeur n'invoquait pas ici l'effet préjudiciable d'une clause de non-concurrence. Il est donc encore un peu tôt pour enterrer les espoirs suscités par la jurisprudence du 9 octobre 2007. Espérons toutefois qu'un prochain arrêt fixe le sort de ces distributeurs dont la situation demeure, en attendant, beaucoup trop fragile.

[1] Cass. com. 9 octobre 2007, P n° 05-14.118, Les échos du 23 janvier 2008 et nos obs. ; Cass. com. 15 janvier 2008, P n° 06.14-698.

[2] Art. L 134-12 C. Com.

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