La loi El Khomri sous le feu des franchiseurs

L’article 29 bis A de la loi travail agite depuis quelques jours le monde de la franchise. Adopté par l’Assemblée via la procédure dérogatoire prévue à l’article 49 alinéa 3 de la Constitution, cet article très controversé prévoit la mise en place d’une instance de dialogue dans les réseaux de franchise atteignant plus de 50 salariés.
Le propre de la franchise étant l’indépendance de chaque unité, cette innovation inspirée du droit du travail paraît de prime abord surprenante. L’article 29 bis A remet en cause le principe fondateur de la franchise qu’est l’indépendance : le réseau est appréhendé comme une entité économique unique, à la tête de laquelle se trouve le franchiseur. Ce dernier aura en charge la mise en place d’une instance de dialogue composée d’un représentant du franchiseur, d’un représentant des franchisés et d’un nombre de représentants des salariés variant en fonction de la taille et de l’effectif total du réseau.
  • Du point de vue du franchiseur, la souplesse caractéristique de la franchise est battue en brèche. Certains vont même jusqu’à s’offusque de cette position de « co-employeur » qui ne serait que la première étape vers une responsabilité plus générale du franchiseur en cas de déconfiture des franchisés. A mon sens, un tel risque n’est pas avéré : le droit du travail est dérogatoire et a pour but de protéger les salariés. D’un point de vue juridique un glissement vers une responsabilité générale du franchiseur est peu probable dans la mesure où les règles du droit du travail sont très spécifiques et où les juges judiciaires continueront à appliquer sans sourciller le droit classique des contrats et de la responsabilité.
  • Du point de vue du franchisé, l’instauration d’une instance de dialogue peut être bénéfique en permettant de centraliser les informations et en facilitant les échanges au sein du réseau. Il est fréquent que plusieurs franchisés soient confrontés aux mêmes difficultés donc un tel mécanisme centralisé pourrait réduire les coûts et créer des synergies au sein du réseau. Néanmoins, il ne faut pas perdre de vue que le franchisé est souvent un petit commerçant qui doit gérer au quotidien son point de vente et n’aura vraisemblablement ni le temps ni la surface financière pour se préoccuper d’une telle instance. En toute hypothèse, des précisions doivent être apportées sur le rôle, le financement et les pouvoirs de « l’instance de dialogue ». En l’état, la loi est lacunaire sur ces questions essentielles.
  • Du point de vue du salarié, l’article 29 bis A est de toute évidence extrêmement protecteur. Cette disposition met notamment en place une obligation de reclassement, pesant à la fois sur le franchiseur et le franchisé, en cas de licenciement économique. Economiquement, dans un contexte de chômage élevé, il est pertinent de tenter de reclasser rapidement un salarié dans une entreprise au sein de laquelle il pourra être directement opérationnel. Or le propre de la franchise réside précisément dans la réitération d’un concept, d’un savoir-faire et par conséquent des méthodes de travail. A cet égard, l’obligation de reclassement au sein d’un réseau de franchise est une idée, certes subversive, mais potentiellement pertinente.
L’article 29 bis A tend donc à transposer au sein des réseaux de franchise un dispositif propre au droit du travail dans la perspective clairement affirmée de protéger les salariés. Certains arguments plaident en faveur d’une obligation de reclassement, notamment le fait que toutes les unités exploitent un même savoir-faire. Tout dépendra de la façon dont cette obligation sera mise en œuvre.

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